Presse
Les Echos | Precisions sur le chiffrage de l'Institut Montaigne (par Laurent Bigorgne)
20 mars 2012
Par Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne
Depuis plusieurs semaines, nous avons produit des chiffrages sur la sortie du nucléaire, l'abandon de l'euro, la politique du logement, l'éducation...
(Cet article a été publié sous une forme condensée dans l’édition du 20 mars des Echos.)
Depuis plusieurs semaines, nous avons produit des chiffrages sur les scénarios de sortie du nucléaire, l’abandon de l’euro, la politique du logement, l’éducation, les retraites, la politique fiscale… A ce stade, plusieurs personnalités politiques ont relevé la qualité et l’impartialité de notre travail. A gauche, ce fut le cas notamment de François Hollande comme de Jean-Luc Mélenchon.
Nous avons privilégié la qualité de nos travaux en composant notre équipe de chiffrage avec des experts des finances publiques, souvent issus de l’administration, et dans un esprit bipartisan.
Notre intention n'est pas de juger les partis politiques ou de leur décerner un satisfecit, mais d'inciter les candidats à préciser leur programme de campagne et leurs différentes propositions. Notre objectif, in fine, est de contribuer à la crédibilité de la parole politique et à l'enrichissement du débat démocratique.
Jérôme Cahuzac est revenu sur notre travail de chiffrage publié vendredi dernier (lire sa tribune) concernant les mesures de recettes fiscales du programme de François Hollande. Relevons tout d’abord que notre estimation des dépenses budgétaires et fiscales prévues par son candidat, à savoir respectivement 18 Mds€ et 5,6 Mds€ pour l’Institut Montaigne, contre 15 et 5 Mds€ pour le PS, ne semble pas soulever de difficulté.
Tout exercice de chiffrage – particulièrement dans le domaine fiscal – implique de prendre des hypothèses de départ. Dans un souci de rigueur et de précision, nous avons échangé avec l’équipe de campagne de François Hollande et ce travail nous a conduit à modifier sept chiffrages pour ce dossier en fonction du degré de précision des hypothèses qui nous ont été fournies (l’intégralité du dossier est disponible sur le site www.chiffrages-dechiffrages2012.fr).
L’intervention de Jérôme Cahuzac permet d’affiner encore ce travail. Ce dialogue nous semble être constitutif de la méthode que nous avons voulu privilégier.
1) Selon Jérôme Cahuzac, notre chiffrage devrait élargir l’assiette de la mesure visant à aligner l’imposition des revenus du capital sur celles des revenus du travail : « au seul titre des plus-values immobilières il convient de rajouter 13 Mds€ à l'assiette de 18 Mds€ retenue par l'Institut Montaigne. Le rendement supplémentaire sera d’au moins 2 Mds€. »
A nos yeux, l’élargissement de cette assiette n’était pas évident. L’intégrer revient à augmenter le chiffrage de cette mesure de 2,8 Mds€ à 4,1 Mds€.
2) De même, relève-t-il que « le rendement de la tranche d’imposition à 45 % a été chiffré sans inclure dans l’assiette les revenus du capital. Le rendement supplémentaire sera d’au moins 250 M€. »
L'estimation que nous pouvons produire d’une telle mesure est bien de 250 M€ et nous l’intégrons à notre total final.
3) « La suppression des amortissements dérogatoires semble avoir été chiffrée sur une seule année d’investissement. Or cette disposition sera bien sûr pérenne. L’estimation de l’Institut est donc sous-estimée de 2 Mds€. »
L'avantage fiscal est purement un avantage de trésorerie pour les entreprises : le supprimer n'apportera pas de gains budgétaires pérennes.Cette mesure fera effectivement gagner des recettes d'IS la première année, mais à n+1, le gain sera en partie annulé, car les entreprises amortiront les années suivantes ce qu'elles n'ont pu amortir d'un coup en n. A terme, à volume d'investissements donné, c'est toujours la même somme que l'on amortit, mais à un rythme différent. Il n'y a donc pas, en principe, de gain budgétaire pérenne.
D’ailleurs, le rapport 2010 du Conseil des prélèvements obligatoires rappelle que « l’application de l’amortissement dérogatoire en mode dégressif ou exceptionnel confère quant à lui à l’entreprise un gain de trésorerie. Ces dispositifs ne constituent pas réellement une renonciation définitive à une recette mais s’assimilent surtout à un avantage de trésorerie » (p.115) ou encore que, « pour ce qui est du système français, on peut considérer que le resserrement des conditions d’amortissement n’aurait qu’un impact en trésorerie, et ne permettrait pas d’obtenir de meilleur rendement budgétaire définitif » (p.458).
4) « La remise en cause des avantages supplémentaires consentis en matière de droits de succession en 2007 a été évaluée sans tenir compte de la prolongation à quinze ans de la période de reprise fiscale. Cette mesure représente un rendement d’au moins 400 M€. »
En utilisant les données publiques disponibles, nous arrivons à un impact marginal de 80 M€, à ajouter aux 752 M€ de la réforme des droits de succession. Pour arriver à un montant supérieur et proche des 400 M€ annoncés par le candidat, il faudrait i) que les donations rapportables, consenties plus de 10 ans et moins de 15 ans avant une succession, représentent une part substantielle de l'actif successoral taxable ou ii) que le montant moyen des donations rapportées soit tel qu'il soit taxable à la tranche marginale imposée à 40 %, ce qui impliquerait des donations d'un montant moyen supérieur à 902 000 €. Les données publiques disponibles ne permettent de confirmer aucun de ces deux points.
5) Enfin, « le produit attendu au titre de l’impôt sur la fortune ne tient pas compte, pour des investissements comparables, de l’alignement du taux de la réduction d’ISF pour investissements dans les PME sur celui accordé à l’impôt sur le revenu. Cette mesure de bon sens dégage un rendement de plus de 400 M€. »
L'alignement des taux des réductions d’'ISF pour les dons et les investissements dans les PME sur ceux valables pour l'IR dégagerait selon nos calculs un surplus de recettes de 334 M€.
De manière générale, l’intégration des précisions ici discutées produirait, selon nos chiffreurs, un rendement supplémentaire d’environ 2 Mds€ pour un total final de 40,5 Mds€ contre 44,5 Mds€ pour l’équipe de campagne. Ces modifications seront bien sûr prises en compte sur notre site web et dans notre chiffrage final du programme de François Hollande.
La qualité de discussion et la volonté de transparence de nos interlocuteurs dans l’équipe de campagne de François Hollande ont été exemplaires et conformes à l’ambition que nous partageons tous d’une démocratie apaisée. Au moment où nous commençons le même travail avec l’équipe de Nicolas Sarkozy, nous ne doutons pas qu’un effort de même nature sera consenti.